La recette d’une vie meilleure.
Quand le fracas produit par le cinéma américain, ou se castagne super-héros et hyper-méchant, ou déambule voyageur galactique et homme singe, ne propose plus ces grands frissons auxquels ils nous avait habitué, c’est du côté du cinéma intimiste que l’on pose ses yeux. Avec Les Délices De Tokyo, le spectateur part en direction de la capitale nippone et du septième art japonais, vivier de récits authentiques et émouvants.
Tiré du roman éponyme de Durian Sukegawa, l’œuvre qui se présente dans son pays d’origine sous le titre de An est à l’image de cette pâte de haricot rouge dont elle porte fièrement le nom. Seul, dans un petit cabanon où lui fait face une allée de cerisier, Sentarô prépare, sans y prendre goût, ses dorayakis, étalant sa morosité entre ces deux pancakes qu’il sert à la poignée d’étudiantes venant bien miraculeusement faire vivre ce petit commerce. Se frayant un chemin dans l’effervescence de la cité tokyoïte, Tokue (Kirin Kiki, divin mariage d’un corps frêle à un esprit robuste) se présente à lui pour répondre à l’annonce concernant un poste de commis. Poliment remerciée par Sentarô, la septuagénaire se décide tout de même à lui confier une boite contenant la pâte An que ses mains, maltraitées par la maladie, ont préparé. Refusant dans un premier temps à y gouter, le pâtissier y plonge finalement son doigt, qu’il porte à ses papilles. Une rencontre au cours de laquelle il redécouvre ce plaisir sucré qui lui était jusqu’alors méconnu.
Cette collaboration naissante redonne un sérieux coup de fouet au commerce, mais aussi à leur vie respective, le tandem, rejoint par Wakana, jeune lycéenne empêtrée dans foyer dysfonctionnel (et partiellement sacrifiée sur l’autel de l’efficacité narrative), comprenant qu’il leur faut apporter un peu de sucre dans leurs existences pour en retirer l’amertume. Car le bonheur est pareil aux saisons, changeant et soumis aux intempéries. Dans son récit, Naomi Kawase, qui sublime autant la préparation des dorayakis que ses personnages, introduit dans leurs paysages deux ingrédients que sont la difficile réinsertion des détenus et l’exclusion social des victimes de la lèpre. Ainsi, ces deux êtres partageront davantage qu’une pâtisserie. La douleur de l’enfermement, la tristesse éprouvée lorsque se pose l’intolérance de la société, et ce besoin irrépressible de vivre au grand air, à l’ombre des cerisiers en fleur. Dès lors emporté par la poésie de l’ordinaire propre au Japon, il pousse sur ce délicieux drame amer de belles fleurs véhiculant un parfum d’émotion aussi délicat que bouleversant. (4.5/5)
An (Japon, 2015). Durée : 1h53. Réalisation : Naomi Kawase. Scénario : Naomi Kawase. Image : Shigeki Akiyama. Montage : Tina Baz. Musique : David Hadjadj. Distribution : Masatoshi Nagase (Sentarô), Kirin Kiki (Tokue), Kyara Uchida (Wakana), Miyoko Asada (la propriétaire de la boutique de dorayaki).
J’ai tres envie de voir ce film qui a l’air remplis de poésies.
Merci pour cette chronique qui ne fait que confirmer cette envie !!
à bientôt !!
Je ne peux que te conseiller de le découvrir.
Merci de ta visite 🙂
Idem. J’avais déjà noté ce film dans ma liste, et on billet confirme mon envie !
De quoi redonner un petit coup de fouet à ta pantagruélique cinéphilie 🙂
Le cinéma japonais est un de ceux qui exaltent mieux le goût à l’écran (y compris dans les films d’animation). La nourriture, si sacrée là-bas, est présente dans de nombreux films sous forme de motifs, quand elle n’est pas au cœur de l’histoire comme ici. Le joli compte-rendu que tu fais de la recette Kawase met en tous les cas en appétit.
Il ne te reste donc plus qu’à y goûter 🙂
Hello, Jolie critique de ce joli film, l’un des plus attachants que j’ai vus au cinéma cette année. « Non-dits à l’ombre des cerisiers en fleurs », c’est ainsi que j’avais intitulé ma chronique du film.
Je suis d’ailleurs retournée lire ta chronique pour l’occasion. Tu avais parfaitement saisi la beauté de ce film attachant et émouvant.
Encore un de ces merveilleux films asiatiques qui parlent de l’authenticité des rapports humains se dévoilant via un de nos cinq sens…
Ta phrase : « il leur faut apporter un peu de sucre dans leurs existences pour en retirer l’amertume » résume parfaitement ce fait.
Heureusement que ce cinéma là existe, entre les blockbusters américains, les prétentions auteuriales d’un certain cinéma français et les grosses machineries comiques.
N’étant pas particulièrement friand du cinéma de Kawase, j’avais fait l’impasse sur le film à sa sortie, mais ta critique me donne envie 🙂
C’est ma première incursion dans son cinéma, mais j’ai énormément apprécié ce film et la manière délicate avec laquelle il aborde cette violence sociale qu’affronte ses personnages.
Cette critique et les commentaires qui en découlent me donnent vraiment envie de voir ce long metrage qui m’a l’air d’être un feel good movie bien sympatoche
« feel good », pas forcément. La gravité des sujets que la réalisatrice aborde est juste magnifiquement contrebalancé par la délicatesse de sa mise en scène.
Le film qui me fait, davantage dans ma campagne qu’au Japon, goûter aux dorayakis ! Et, après ce film, le pote cuistot dans son restau japonais s’est mis à proposer du dorayaki, ce qu’il ne faisait pas avant !
Concernant Kawase, son film le plus facile, disons ça comme ça, mais pas moins attachant.