Critique : Hacker (2015)

Hacker 1

Entre les lignes de codes.

« On s’en fout des 0 et des 1, on s’en fout du code. ». Cette réplique, clôturant l’intense passe d’arme qui s’est jouée sous nos yeux pendant près de deux heures, résume parfaitement la tentative de Michael Mann à pénétrer le monde du hacking. Dans les premières minutes constituant l’affolant prélude à cette chasse à l’homme, son cadre nous introduit dans les casemates électroniques d’une centrale nucléaire, la caméra longeant les autoroutes cybernétiques desservant son système de sécurité afin de réaliser la séquence post-moderne attendue, se pliant, non sans un certain brio, aux codes graphiques conjointement édictées par le genre et la récente évolution des représentations des influx insaisissables à l’œil humain (mode de représentation qu’avait déjà proposé, quinze années plus tôt, David Fincher avec Fight Club). Mais, peu à peu, Hacker voit se réduire à l’image, et dans le récit, la présence des moniteurs. Insensiblement, Mann rétrograde son intrigue, déplace le curseur de sa nouvelle expérience cinématographique afin de la situer à contretemps de cette promesse formulée en ouverture. Car, entre ces lignes de codes, l’ordinateur n’est finalement qu’un outil, une nouvelle arme pour vider les caisses. Le clavier n’est qu’une détente, les signaux électriques, le prolongement du destin en marche. En réalité, rien ne passionne plus le réalisateur que cette diode, témoignant de la présence de l’humain derrière la machine, préfigurant le risque physique à venir – ce vers quoi tend constamment son œuvre. Nick Hathaway, un pirate purgeant sa peine à l’ombre des horizons infinis, doit ainsi traquer et démasquer le fameux cyber-terroriste en parcourant le monde, jouant par la même occasion, avec les autorités fédérales, sa propre liberté. Le charisme naturel et la raideur maxillaire dont fait montre son interprète, Chris Hemsworth, s’insère alors brillamment dans la mécanique d’intériorité sur laquelle repose la force de son personnage ainsi que l’imagerie de son auteur (« cette bestialité rentrée » déclamée par Diane Verona dans Heat). Dans cette logique, Michael Mann mêle à sa traque ses plus grandes obsessions existentialistes (la liberté, l’indépendance, la solitude, la chute, la mort) et ses plus illustres motifs (la femme comme symbole d’avenir), déployant ainsi une tension tragi-romantique semblable, à un degré moindre, à celle qui assiégeait son Miami Vice. Ces états de stase éparses durant lesquels le héros se perd et s’interroge dans le creux de l’immensité du monde qui l’entoure, ces ensembles vides au cours desquels le spectateur met en perspective le spectacle qui lui est offert, de se briser aux détours de courts mais puissants éclats de violence, nous arrachant à l’abstraction du terrain numérique pour une brutalité beaucoup plus concrète. Dès lors, le cinéaste s’enquiert de la fragilité de l’être et de la trace qu’il laisse dans l’univers. « Tu croyais que j’allais le pleurer. Des personnes meurent tous les jours ». Noyé dans une marée humaine, indifférente au duel à couteaux tirés se jouant sous leur yeux, les deux hommes deviennent, à cet instant, de pauvres anonymes, des points perdus dans l’espace, seul face à l’insoutenable pesanteur de leur existence. Là ce situe l’inaltérable magie du cinéma de Michael Mann. (4/5)

Hacker 2

Blackhat (États-Unis, 2015). Durée : 2h13. Réalisation : Michael Mann. Scénario : Morgan Davis Foehl. Image : Stuart Dryburgh. Montage : Mako Kamitsuna, Jeremiah O’Driscoll, Stephen E. Rivkin, Joe Walker. Musique : Harry-Gregson Williams, Atticus Ross. Distribution : Chris Hemsworth (Nick Hathaway), Tang Wei (Lien Chen), Wang Leehom (Dawai Chen), Viola Davis (l’agent Carol Barrett), Holt McCallany (le marshal Mark Jessup), Ritchie Coster (Elias Kassar).

45 commentaires

  1. Wow ! brillante chronique qui rend grâce à un film qui mérite mieux que le dédain commun. La chasse au Hacker prend en effet ici une tournure existentielle que seul l’homme des « révélations » est capable de sublimer de la sorte. Transportant sa caméra d’un bout à l’autre de la planète, l’élevant au plus haut des cieux pour ensuite la miniaturiser jusqu’à pouvoir sonder le cœur même de l’influx électronique, il replace l’homme dans un univers en perte de repères, invente de nouveaux perceurs de coffres dérobant un pactole immatériel. En effet, que vaut une vie dans ce grand chambardement d’intérêts économiques mondialisés, délocalisés, dématérialisés ?

    1. Merci beaucoup 🙂 Michael Mann n’a vraiment pas son pareil pour capter l’inadaptation de ses personnages. Mais si tout le monde (et moi le premier) perçoit en Hacker les vestiges de son Miami Vice, je trouve, en réalité, qu’il se rapproche beaucoup plus de Le Solitaire, notamment dans la construction mentale de son personnage principal.

    2. C’est effectivement très agréable de pouvoir découvrir un film de ce genre dans ces conditions, quand bien même cela ne soit pas son meilleur.

    3. AU fait, as-tu reçu ton exemplaire de « l’horizon de Michael Mann » d’Axel Cadieux ? J’ai reçu le mien cette semaine mais pas encore trouvé le temps de me plonger corps et âme dans cette analyse fouillée et surtout dans l’indispensable interview qui clôt le livre.

    4. Je ne l’ai pas reçu tout simplement parce que je ne l’ai pas encore commandé 🙂 J’ai lu une critique sur cet ouvrage (http://www.cinechronicle.com/2015/08/livre-lhorizon-de-michael-mann-de-axel-cadieux-critique-97972/) qui, du coup, m’a un peu freiné dans l’acte d’achat. J’attends donc que, toi, grand admirateur de son cinéma, tu me dises si cet essai vaut le coup, où si je devrais plutôt attendre patiemment celui de JB Thoret.

    5. Je vais aller lire la critique. Ceci dit, c’est un petit ouvrage peu onéreux (une quinzaine d’euros) qui contient une interview très récente et assez dense du cinéaste. Ne serait-ce que pour ça, je pense que ça peut valoir le coup. Promis, je reviendrai te donner mon sentiment une fois que l’aurai parcouru.

    6. Oui, le prix est abordable, et en effet, le fait qu’il propose une interview récente du cinéaste titille ma curiosité. Donc pour le moment, je ne sais pas. J’attends.

    7. Je constate que tu as craqué finalement. Tu vas peut-être même pouvoir le lire avant moi (en ce moment j’ai trop le nez dans le guidon). J’attends ton avis avec intérêt.

    8. Pas sûr. En ce moment, j’ai le nez dans le volant d’une Mercedes, si tu vois ce que je veux dire 😉

  2. Un retour en flamme pour Michael Mann. La hd épouse le sujet et la shaky cam n’est jamais dégueulasse. Bon suspense. Par contre les intentions du méchant mouaif

    1. Comme d’habitude chez Mann, le méchant, obsédé par le contrôle, veut juste s’en mettre plein les poches. Mais j’ai l’impression que le montage final a fait l’impasse sur quelques dialogues le concernant par rapport à ce qui était présent dans la bande annonce.

  3. Pas encore vu le film et la bande annonce ne m’avait pas spécialement convaincu. Mais visiblement, c’est un excellent cru de Michael Mann

    1. C’est un très bon cru (excellent, peut-être pas). Mais il faut être très réceptif (et amoureux, aussi) à son cinéma pour pouvoir l’apprécier autant.

  4. Un excellent Michael Mann que j’ai adoré. J’ai eu la chance de le voir en salles mais je regrette qu’un tel film bénéficie d’une distribution assez médiocre. Dommage car le cinéma de Mann mérite vraiment d’être mis en avant 🙂

    1. En effet, le cinéma de ce réalisateur doit s’apprécier sur grand écran, ne serait-ce que pour prendre conscience du souci que ce dernier porte à son cadre, ses images, et à sa bande-son (bruitage et musique confondus).

    2. En effet, il me semble qu’il s’est passé un truc anormal pour la distribution de ce film par Universal. Le film est bien loin de pouvoir rembourser la mise de départ. Apparemment, le film ne sortira même qu’en Dtv en Australie, pourtant la patrie de Chris Hemsworth ! Bien triste.

  5. Très bonne critique pour ce film égratigné par la critique. Pourtant, sur le net, je lis de bons avis comme le tien et il me tarde de me faire un avis sur ce réalisateur finalement peu connu du grand public.

    1. Hacker n’a pas eu la distribution qu’il méritait, et malheureusement, son échec retentissant au box-office va nous priver de la présence de ce grand réalisateur pendant un certain nombre d’année.

    1. C’est du Michael Mann pur jus. Si tu aimes son cinéma (et il me semble que c’est le cas), tu l’apprécieras.

    1. Tu me diras ce que tu en penses de ce dernier Terminator. Moi, j’ai trouvé ça horriblement mauvais.

  6. Hacker est vraiment un superbe thriller. Après le très moyen (mais pas mauvais) « Miami Vice » et « Public Ennemie » je retrouve enfin le Michael Mann que j’aime. Attends toi à lire sur mon blog une critique très élogieuse! Merci pour la recommandation, 2h de bonheur!!

    1. De rien 🙂
      Je l’ai encore revu avant-hier, et j’ai découvert davantage de subtilité dans le rapport entre les personnages et le monde dans lequel ils evoluent par rapport à la première vision. Cet existentialisme propre au cinéma de Mann (la liberté et la mort), la puissance poétique de l’image (cette agent dont la dernière image du monde qui se reflétera dans ses yeux est celle d’un gratte-ciel, semblable à celui où elle perdit son mari : une scène aussi éphémère que sublime), l’art de brosser des portraits de personnages indomptables (le héros, un « ghostman » qui s’évanouit dans la nature), le caractère evanescent du bonheur, c’est tout ce que j’aime chez lui.
      Hâte de découvrir ta critique désormais 🙂

    2. Quand tu évoques le film en ces termes, il me remonte une envie irrépressible de le revoir. Je viens de le recevoir et j’ai prévu de me le refaire avec un ami qui ne l’a pas vu en salle.

    3. Difficile de résister à une seconde vision lorsqu’on a le film entre ses mains 🙂 D’autant plus que le Bluray rend parfaitement justice à la pensée technique du réalisateur – photo et son.
      Et je me languis toujours de l’essai que JB Thoret prépare sur le cinéaste.

    4. Oui, j’ai vu cela, il devait sortir ces jours-ci d’ailleurs. Il y en a un autre également, l’Horizon De Michael Mann d’Axel Cadieux, qui doit sortir le 3 septembre. Je ne connais pas du tout l’auteur, mais ça peut être intéressant.

    5. Certainement. D’ailleurs, ce que tu écris que « rien ne passionne plus le réalisateur que cette diode », je me rends compte combien tu as raison : chaque individu est ici réduit à un point, le signal GPS du bracelet électronique de Hathaway, la trajectoire des mules, la signature du Hacker entre les lignes de code. Chacun de ces points renvoie évidemment à chaque lumière allumée dans la ville qui parfois s’éteignent à tout jamais comme l’agent Barnett, Trang ou l’US Marshal. Le blackhat n’est dès lors qu’un simple malware incorporé dans la matrice, sans affect, profitant des failles du système (la méfiance réciproque de deux Etats) pour simplement augmenter le nombre du chiffres sur son compte en banque. Nulle perspective spirituelle, nulle motivation politique, seule la performance compte pour cet être froid. Ainsi l’histoire entre le ghostman et Chen Lien, le regard que porte Mann sur chaque personnage y compris secondaire, constitue l’indispensable rémanence du facteur humain dans un monde qui s’en éloigne chaque jour davantage.

    6. Bravo, très juste analyse que je partage totalement, conforme à la vision du monde et la place de l’humain développé par Mann dans tous ces films. « Des millions de galaxies ou scintillent des milliers d’étoiles, et un point apparait l’espace d’un instant sur l’une d’elle. Voilà ce que nous sommes, perdus dans l’espace. » Des âmes s’éteignent, d’autres s’allument. Certaines s’éloignent ou disparaissent telles des spectres dans un cortège de flammes. D’autres cherchent à profiter de cette vie jusqu’à son dernier éclat, quitte à franchir le point de non retour et à mourir.

  7. à 2flics: Je travail toujours sur ma critique de « La Machine à explorer le temps  » (1960) mais « Hacker » sera le prochain film que j’aborderais… demain je vais voir au cinéma « Pixel » je m’attends à un film bien lourdingue mais bon, on verra si le film me parle ou non.

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