Critique : Le Tout Nouveau Testament (2015)

Le Tout Nouveau Testament 1La chute des idoles.

Au début, il y avait Bruxelles, sinistre cité dont le gris du ciel trouvait son miroir dans le noir goudron recouvrant les larges avenues. À cette scène vierge, Dieu y ajouta des animaux, des girafes et des poules, des êtres pourvus d’une intelligence suffisamment médiocre pour faire naître lentement en lui un terrible sentiment d’insatisfaction. Alors, le démiurge créa l’homme et la femme afin d’étancher sa soif de domination. Depuis ce jour, il met un point d’honneur à empoisonner leurs existences en édictant « les lois de l’emmerdement universel », principes fondamentaux régissant la marche du monde dans une file d’attente, la gravité d’une tartine beurrée, ou les réactions téléphoniques provoquée par un corps plongé dans l’eau du bain. Le grand horloger est donc un enquiquineur de première classe, et un odieux seigneur de guerre qui tire profit de son influence pour précipiter les êtres humains vers le chaos, les engageant à se massacrer en son nom. Dans l’intimité, le créateur, épousant les traits monstrueux et le timbre braillard d’un Benoit Poelvoorde en roue libre, ne se montre guère plus plaisant. Il se révèle un père et un époux particulièrement inhumain, corrigeant sa fille, Ea, à coup de ceinturon lorsque cette dernière blasphème contre son autorité, et traînant sa femme (Yolande Moreau, toujours présente pour jouer les idiotes) plus bas que terre lorsque sonne l’heure d’inventorier les vignettes Panini. Jusqu’au jour où sa descendance, las de cette vie misérable, diffuse les dates de décès et quitte ses pénates afin d’écrire un tout nouveau testament, au grand dam de son père, privé de son pouvoir. Au hasard Balthazar, la petite Ea sélectionne six apôtres qui, en s’additionnant aux douze jadis réunit par son frère, lui permet d’atteindre le chiffre prophétique de dix-huit qu’affectionne particulièrement sa mère, fan de base-ball. On reconnait bien dans cette fable fantasque le caractère iconoclaste, mélancolique et fantaisiste du cinéma de Jaco Van Dormael. Sur ce principe de ré-écriture, son évangile, élaboré à quatre main avec le scénariste Thomas Gunzig, s’autorise à faire tomber les idoles (Catherine Deneuve et François Damiens, dans des rôles à contre-courant) et engendrer de nombreuses excentricités visuelles loin d’être déplaisantes, même si parfois d’un mauvais goût par instant totalement assumé. Malheureusement, le réalisateur se retrouve très vite étranglé par la densité de son sujet. Sa relecture sous opium numérique des saintes écritures, alignant les cantiques sur la merditude des choses et le culte de la matérialité, cloue le mordant de son récit sur l’autel d’apartés monocordes et interminables entre l’angélique prophète et ses favoris. En effet, ces six élus mènent tous des vies de merde, se présentant comme des ratés, des inadaptés, des rébus de la société, exploité, abandonné et trompé. Tous vont reconsidérer leur existence à l’aube de leur mort prochaine. Tous vont s’abandonner dans les bras d’une passion secrète. Aussi belle soit-elle, cette ritournelle s’étire inexorablement et borne la lecture à celle d’une inoffensive pochade douce-amère, participant à la faillite de son discours. Finalement, Dieu seul sait quelles étaient les intentions originelles sur lesquelles reposait ce Tout Nouveau Testament tristement inégal. (2.5/5)

Le Tout Nouveau Testament 2Le Tout Nouveau Testament (Belgique, 2015). Durée : 1h54. Réalisation : Jaco Van Dormael. Scénario : Jaco Van Dormael, Thomas Gunzig. Image : Christophe Beaucarne. Montage : Hervé De Luze. Musique : An Pierlé. Distribution : Benoit Poelvoorde (Dieu), Yolande Moreau (la femme de Dieu), Pili Groyne (Ea), Catherine Deneuve (Martine), François Damiens (François), Serge Larivière (Marc), Laura Verlinden (Aurélie).

14 commentaires

  1. J’attendais ta critique avec impatience. Inégal et parfois de mauvais goût, (Même si, à juste titre et comme tu le soulignes, ce mauvais goût est recherché.) résument parfaitement Le Tout Nouveau Testament. Nous pouvions nous attendre à une comédie un peu plus agréable et moins … misérable et réductrice.

    1. Le film n’est en effet pas si comique et léger que la bande annonce nous le laissait croire. Mais cela, à la limite, je pouvais tout à fait l’accepter. Le problème, outre les carences d’un scénario qui peine à nous révéler ses enjeux (rien n’explique les conséquences de la production d’un tout nouveau testament), c’est qu’il s’enferme dans un schéma (celui du témoignage) qui ne produit rien de plus qu’un sentiment d’ennui. Et pourtant, les qualités d’écriture (le style, très poétique, des dialogues) sont présentes.

  2. Sincèrement, je trouve que Poelvoorde accumule les fautes de goût au cinéma depuis très longtemps hormis quelques rarissimes exceptions.

    1. Poelvoorde n’est pas un acteur que j’affectionne tout particulièrement, même si je lui reconnais un certain talent. En revanche, je trouve que, ces derniers temps, il varie ses registres en multipliant les drames (L’Autre Dumas, Trois Cœurs) et les comédies plus « douces » comme Les Émotifs Anonymes. C’est un bon point, je trouve. Ça lui permet de se renouveler.

  3. Je souhaitais voir ce film quand j’ai vu le sujet et la bande-annonce, mais les mauvaises critiques (ou critiques mitigées) s’accumulent et ça m’a plus dégoûtée autre chose…

    1. La bande annonce était vraiment très convaincante, c’est d’ailleurs cela qui m’a convaincu d’aller le découvrir en salle. Après, tu peux toujours tenter l’expérience. Peut-être tomberas tu sous le charme de ce film.

    1. Je sais que tu es une grande fan du réalisateur, donc j’étais certains que tu lui laisserais sa chance. Il n’y a donc plus qu’à attendre qu’il soit diffusé sur Canal 😉

  4. Un film inégal, à la bordure du « style over substance », plus porté sur les réflexions métaphysiques que sur le déroulement d’un script cohérent, certes, mais qui pour ma part mérite que les spectateurs s’y attardent , plutôt que de mettre leurs sous dans la dernière michaelbayserie bas de plafond.

    1. C’est vrai que ce n’est pas aussi intellectuellement inutile qu’un film de Michael Bay, mais en même temps, la comparaison ne se pose même pas, c’est deux styles, deux univers, et deux genres diamétralement différents.

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