Critique : Spotlight (2016)

Spotlight 1

Académisme sous projecteur.

Des mots émerge la lumière. Elle peut être orientée de sorte à conserver dans l’obscurité ces choses qu’on ne voudrait montrer. Mais elle tend aussi à s’étendre sur toute la surface de son sujet, découpant ses reliefs afin d’en révéler les plus déplaisantes aspérités. Dans les catacombes du Boston Globe, la division Spotlight investigue ainsi sur le long cours dans le but d’éclairer la lanterne de ses lecteurs, creusant des pistes, déterrant des sources et exhumant des documents enfouis dans les archives. À l’heure où l’archevêque du journal tire sa révérence et que les journalistes pataugent sur le nébuleux dossier des « chiffres de la police », son successeur missionné par le conclave gestionnaire s’échine à en faire bouger les lignes et à en ressusciter les recettes. Cet outsider ressort alors des cartons les actes de pédophilie dont s’est rendu coupable un prêtre de l’archidiocèse et au dessus duquel planait les soupçons concernant son cardinal, mis au parfum de ce péché qu’il aurait balayé d’un revers de la main. Le rédacteur en chef place ainsi l’équipe de journalistes sur les traces de la puissante mafia cléricale locale, qui étouffe le bêlement plaintif des nombreuses brebis galeuses d’un charitable bakchich et couve ses pontifes du courroux des médias et des fidèles. Admiratif, le cinéaste Tom McCarthy regarde ces spéléologues de l’information souffler sur la poussière de l’ignorance pour révéler cet affreux ossuaire d’une innocence profanée, dissimulé dérrière les grandes cathédrales du sacerdoce chrétien. Il en exalte l’abnégation, celle de trébucher dans le noir, celui du monde, celui de leurs âmes, encore et toujours, pour extraire une lueur de vérité. Il en croise les faisceaux devant son objectif, laissant au bon soin de leurs interprètes à porter la justesse de leur mission, sans les béatifier ni les absoudre totalement des errements qui les ont précédés. L’exercice de l’investigation est ainsi porté par un regard clinique et factuel, se détournant du sensationnalisme pour ne regarder que son quotidien, fait de huis-clos et de mots à demi-couverts. Cependant, la beauté des intentions ne se voit pas accompagner par celle du geste. Véritable bête à concours (Golden Globe, Oscar et tutti-quanti), Spotlight attire, par le caractère spinescent de son sujet (dont on avait déjà ressenti le poids du Doute quelques années plus tôt) et par son intimidante distribution, tous les projecteurs vers lui, soulevant par la même un enthousiasme médiatique compréhensible (pour la qualité de ses nombreux dialogues comme pour sa direction des acteurs – hormis la raideur cadavérique offerte par Mark Ruffalo) qu’aveuglante, délaissant dans l’ombre ces perspectives avortés (le déstabilisant témoignage d’un prêtre affirmant avoir été violé restant lettre morte) et la faiblesse d’une écriture cinématographique soigneusement impersonnelle. (3/5)

Spotlight 2

Spotlight (États-Unis, 2015). Durée : 2h08. Réalisation : Tom McCarthy. Scénario : Tom McCarthy, Josh Singer. Image : Masanobu Takayanagi. Montage : Tom McArdle. Musique : Howard Shore. Distribution : Mark Ruffalo (Mike Rezendes), Michael Keaton (Walter Robinson), Rachel McAdams (Sacha Pfeiffer), Liev Schreiber (Marty Baron), Brian D’Arcy James (Matt Carroll), John Slattery (Ben Bradlee), Stanley Tucci (Mitchell Garabedian), Billy Crudup (Eric Macleish).

11 commentaires

  1. J’ai énormément aimé ce film certes sobre mais d’une grande efficacité, puissant, qui n’est pas parvenue à me rendre indifférente, également bien interprété et qui rend merveilleusement hommage au journalisme.

    1. La sobriété permet sans doute de davantage mettre en valeur son sujet. Ceci étant, je trouve qu’il n’y a pas ici ce point de vue cinématographique qui pourrait le hisser au niveau de Les Hommes Du Président, Zodiac ou Révélations.

    2. Je n’ai toujours pas vu Révélations mais je ne trouve pas le travail de McCarthy honteux même face au grandiose film de Pakula (même si on est d’accord, Les Hommes du Président est indétrônable). Après, j’aime beaucoup Zodiac même si sa longueur me gêne un peu, je trouve qu’on perd en intensité malgré ses indéniables qualités.

    3. C’est en tout cas ce que je pense.
      En tout cas, Tina, je ne peux que trop te conseiller de découvrir Révélations. Cela en sera sûrement une pour toi (en tout cas, je l’espère) 🙂

  2. Tu sembles moyennement conquis finalement par le résultat (davantage par le sujet). Je suis du coup moins motivé pour m’intéresser au dossier. Dois-je lui laisser une chance en seconde lecture ?

    1. Le sujet est passionnant, sont traitement l’est en effet beaucoup moins à mes yeux. Tu peux tout de même lui laisser sa chance, tu y trouveras sans doute matière à nourrir ta plume.

    1. Non, en effet, il ne sont pas tous du même niveau, et celui ci demeure tout de même fort recommandable.

  3. Il est vrai que ces derniers temps, la fiction ricaine se penche sur les cas troublants des hommes de l’église, « Spotlight » à pour mérite d’en tirer un intéressant plaidoyer pour l’investigation etla morale. Méritait-il pour autant cette pluie d’Oscars? La question demeure…

    1. De mon point de vue, il ne méritait pas l’Oscar du meilleur film (The Revenant le méritait davantage). Mais comme tu le dis, le dossier épineux de la pédophilie dans le milieu clérical jouit au moins ici d’un nouveau point de vue loin d’être inintéressant.

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