Critique : Les Huit Salopards (2016)

Les Huit Salopards 1

Les dix petits nègres.

Le verbe tombe comme le flocon en plein hiver sur le chemin menant à Red Rock. Sous le 70mm dégainé par Quentin Tarantino, les vallées boisées du Wyoming, à l’éclat semblable au cocon de glace au sein duquel hibernait jadis la Chose de Carpenter, s’étendent et se recouvrent de cet épais manteau alors que cavale la dernière diligence, bringuebalant dans son bahut deux chasseurs de prime (Samuel L. Jackson et Kurt Russell), un corniaud de shérif (Walton Goggins) et une morue au visage biffer d’un sourire hérétique (Jennifer Jason Leigh). Au prix d’une longue traversée dans cet Inferno Bianco abandonné de dieu mais sublimé par ce vieux diable d’Ennio Morricone, et dont la densité mit à rude épreuve les chevilles des canassons autant que la patience du spectateur, le réalisateur nous accueille enfin dans son petit théâtre. Les planches de la mercerie de Minnie craque alors sous les bottes d’une belle poignée de salopards, de marauds et de raclures venues passer une nuit bien au chaud, entre quatre murs, à l’abri du blizzard. Mais ce cadre inoffensif auquel le corps roidi d’un vieillard à la réplique mordante (Bruce Dern) en constitue la caution finale, véhicule un lent parfum de mort (normal, nous sommes chez Tarantino). Tant et si bien que la face de suie aux couleurs de l’union, sentant le coup fourré depuis que ses portugaises furent chatouillées par les babines mexicaines du tôlier (Demián Bichir), joue les détectives afin de débusquer le pendard parmi la brochette de couennes réunie, en cette glaciale nuit, sous le toit de Minnie. La petite auberge, symbole d’un pays partagée entre avancée démocratique et vigilantisme, se teintera ainsi de rouge, lentement assiégé par un violent passé qui surgira du tréfonds des entrailles au cours d’un bouillon de onze heure d’anthologie, venant en baptiser le madrier du sang de ses infâmes locataires. Tarantino, qui prend son pied en faisant franchir à son huis-clos au parfum de Cluedo les frontières de l’horreur, pulvérise, avec ses interminables tunnels de dialogues où se découvrent les impostures les plus chaudement gardés, et ses rodéos sanglants à vous faire rendre votre petit-déjeuner, cette harmonie sociétale frelatée et fantoche affichée à l’issue de la Guerre De Sécession. Et si au cœur cette flamboyante ambiance funèbre, sa table ronde autour de laquelle se joint quelques autres de ses plus fidèles camarades de jeu (Tim Roth, Michael Madsen et James Parks) semble parler beaucoup trop pour pas grand chose, elle en dit en revanche long sur le caractère héréditaire et universel de cette irrépressible besoin de violence dans laquelle s’enfonce encore aujourd’hui la société Américaine. (3.5/5)

Les Huit Salopards 2

The Hateful Eight (États-Unis, 2015). Durée : 2h48. Réalisation : Quentin Tarantino. Scénario : Quentin Tarantino. Image : Robert Richardson. Montage : Fred Raskin. Musique : Ennio Morricone. Distribution : Samuel L. Jackson (le major Warren), Kurt Russell (John Ruth), Jennifer Jason Leigh (Daisy Domergue), Walton Goggins (Chris Mannix), Tim Roth (Oswaldo Mobray), Damian Bichir (Bob), Michael Madsen (Joe Gage), Bruce Dern (le général Sandy Smithers), James Parks (O.B.).

30 commentaires

  1. Quid de Tatum dans la distribution ?
    En temps compensé il a quasi autant de temps de jeu que Madsen voire Roth, Parks ou Bichir …. 🙂
    Impression de trop déjà vu, 2/5 pour ma part.

  2. Un sentiment antinomique semble gouverner la dernière phrase de ta (brillante, cela va sans dire) chronique : « tout ça pour ça » sembles-tu dire, tout en pointant nettement les valeurs nobles dont Tarantino veut se faire le champion. C’est pourtant cette voie que j’applaudis, celle qui me ramène autant à « Rio Bravo » qu’à « Liberty Valance », surtout quand elle s’emmitoufle dans un si beau manteau de cinéma.

    1. Un sentiment antinomique, en effet, même si domine celui d’avoir assisté à un flamboyant spectacle. Et maintenant que tu le dis, il y a en effet cette dichotomie réalité/légende (essentiellement chez le personnage interprété par Jackson) que présentait John Ford avec Liberty Valance.
      Du coup, j’ai l’impression que ta chronique sur The Thing n’est pas étrangère à cette récente découverte 😉

  3. En gros, parfois, ça parle beaucoup pour ne pas dire grand chose. Ca revient souvent dans les films de Tarantino, mais je tenterai peut-être l’expérience au cinéma, mais vraiment pas une priorité de mon côté

    1. Oui, c’est un peu ça, sans que cela paraissent interminable pour autant (je n’ai pas éprouvé l’envie de regarder ma montre). Si tu es pris par la narration, les personnages et le cadre, le spectacle te seras agréable.

  4. Moi j’ai failli la regarder ma montre, au bout d’une heure dans cette foutue diligence où il ne se passe absolument rien (même les dialogues ne parviennent pas à relever le niveau) ! Et puis après faut se taper plus de 30 mn dans la mercerie où on a droit une nouvelle présentation de personnages… Là je commençais à bouillir… Et puis la délivrance, enfin si on peut parler de délivrance… Oui, « tout ça pour ça » n’a jamais été mieux adapté que pour ces 8 salopards. Et je crois que jamais un film de Tarantino n’avait divisé à ce point.

    1. En même temps, je dis que je n’ai pas été tenté de regarder ma montre mais je n’en porte même pas 😀
      D’ailleurs, la réplique de Jackson « On va ralentir la cadence », je me demande si cela ne tenait pas de l’ironie sur l’instant…
      « Et je crois que jamais un film de Tarantino n’avait divisé à ce point. » Heu… Le Boulevard De La Mort divise pas mal dans son genre.
      En tout cas, je file de suite dévorer ta chronique 🙂

  5. Belle chronique, comme souvent ! Le final de ta critique revient, comme d’autres l’ont soulevé avant moi « Tout ça pour ça. » Finalement, cela pourrait être valable pour l’ensemble des films majeurs de Q. Tarantino. Pulp Fiction (Un braquage qui entrecroise plusieurs personnages ?), Kill Bill (Une histoire de vengeance ? Et ?), Inglorious Basterds (Une vengeance et une libre interprétation de l’Histoire et ?) … Et Une Nuit en Enfer, globalement rédigé mais non réalisé par Q. Tarantino.

    Dans la filmographie de Q. Tarantino, je crois qu’il y a un lien qui doit se faire. Personnellement, Le Boulevard de la Mort, Une Nuit en Enfer, Inglorious Basterds, Jackie Brown … Je n’arriverai pas à défendre ces films là car dominait le « Tout ça pour ça. »

    Avec Les Huit Salopards, ce qui est particulièrement intéressant, réside dans l’écriture de Tarantino. Il a toujours écrit ces scénarios quoiqu’en disent ces détracteurs ou ceux qui aimaient ses « premiers films » comme une idée punk. Sauf que, à l’exemple de Django Unchained, Q. Tarantino parvient à sonder des malaises : le désarmement de Kurt Russel face à la lettre, la scission après la Guerre Civile qui, quoiqu’on en dise, perdure sous une autre forme aujourd’hui … Tout cela, avec des acteurs quasi fétiches, c’était assez agréable à observer.

    Cela dit, je comprends ta pensée.

    Je me permets de revenir sur ton précédent commentaire :

    « D’ailleurs, la réplique de Jackson « On va ralentir la cadence », je me demande si cela ne tenait pas de l’ironie sur l’instant…  »

    Avec Q. Tarantino et Samuel L. Jackson, je l’ai directement réceptionné comme une ironie et la rupture d’un 4e Mur. Pour mémoire, Uma Thurman dessine littéralement un « carré » (Ou un rectangle ?) dans Pulp Fiction lorsqu’elle fait une remarque sur le caractère droit de John Travolta. Dans Kill Bill, les adresses au spectateur ne manquent pas. (Je n’ai plus les scènes exactes en tête.)

     » « Et je crois que jamais un film de Tarantino n’avait divisé à ce point. » Heu… Le Boulevard De La Mort divise pas mal dans son genre.  » Le Boulevard de la Mort était vraiment pénible à voir. Je crois même ne pas l’avoir terminé … (Il y a quelques années déjà.) C’était un tout assez difficile à digérer. (Manque de rythme, scénario pas spécialement passionnant …)

    1. Mais pourtant, vous n’avez eu le sentiment de voir se rejouer « Reservoir dogs » au pays des cow-boys ? Tarantino a rajouté en prime à ses chasseur un max de peps et de comédie . Et moi, « Reservoir dogs », ça m’avait bien botté ! du coup, celui-ci encore plus… ça divise assurément, et en plus ça fait causer, et ça Tarantino doit adorer 😉

    2. Personnellement, j’ai revu Reservoir Dogs avec de l’expérience, un savoir-faire d’environ 20 ans. (Cf. Critique perso’.)

      En rajout sur cette « comédie », Tarantino fera parler de lui. Le message est un peu « Que les morveux se mouchent » pour les Américains : les scènes de la Mercerie de Minnie expliquent pourquoi la question du port d’armes a aiguisé le boycottage à 2 sous des policiers américains …

      En tout cas, Les 8 Salopards a été une excellente partition. Très très plaisante.

    3. Déjà, merci pour le compliment, ça fait plaisir 🙂
      Ensuite, comme tu le soulignes, il y a diffèrent degré de « tout ça pour ça » chez Tarantino. Le pire exemple est pour moi Le Boulevard De La Mort. Autant dans Les Huit Salopards, les dialogues, noyés en des détails parfois très insignifiants, distillent, par le passé des personnages, d’intéressantes réflexions sur la légitimité de la violence (notamment le sort que réserve le général Smithers aux prisonniers de guerre noire lors de la Guerre de Sécession qu’il faut mettre en parallèle aux prisonniers malnutris et cadavériques retrouvés dans certains camps confédérés, dont celui d’Andersonville). Autant dans Le Boulevard De La Mort, tout est vain, sans intêret.

  6. Contrairement à Chonchon, je n’ai jamais été emballé par Tarantino, sauf au tout début de sa carrière. Souvenirs tout à fait corrects de « Reservoir dogs » et « Pulp fiction », que je me suis promis de revoir. En attendant, ces « 8 salopards » m’ont fait une impression correcte, sans plus. J’commence à en être tristement blasé…

  7. Okaaaay j’étais persuadée d’avoir laissé mon avis ici mais en fait *Tina perd la boule*
    Tu connais déjà mon avis, ultra méga positif, je défends à fond ce film. Je comprends les gens qui ont pu trouver ça long, bavard et tout ça mais j’arrive maintenant avec le recul à les justifier. J’ai trouvé l’ensemble magistral, sombre, profond et puissant, écrit avec beaucoup d’intelligence, possédant une incroyable mise en scène et un casting génial pour ne citer que ça comme qualités.

    1. Et bien je suis au regret de t’annoncer que tu perds bel et bien la boule (comme beaucoup des ces Huit Salopards).
      Et bien que je ne partage pas totalement ton enthousiasme, je n’émets aucune réserve sur les nombreuses qualités techniques offerte par ce dernier Tarantino.

  8. N’étant pas un fan de Tarantino et vu la longueur du film, je pense que je vais m’abstenir. Je verrai le film en accéléré pour la dernière partie qui, semble-t-il, bouge un peu plus que l’entame 🙂

    1. Même en accéléré, c’est trop long 😉 Plus sérieusement, c’est un film qui ne plaira pas à tout le monde, et sans doute pas à ceux qui détestent déjà Tarantino.

  9. Il était temps de voir un vrai film de QT. En vingt et un ans il était temps! Plus de références, peut être une autocitation de trop mais ça fonctionne. Un excellent casting, un bon film que je reverrais certainement.

    1. Les références sont présentes tout de même, mais elles sont plus digestes, mieux accommodé à son verbeux ragoût (et sans doute aussi moins détectables pour le commun des mortels).

    2. Alors elles sont bien moins reconnaissables que dans les vomitifs précédents films où c’était pompage land.

  10. Plus de références ??
    C’est pas mon sentiment à moins d’être sourd, de ne pas parler espagnol ou d’être atteint de cécité…
    Maintenant si plus signifie davantage, j’ai rien dit. 😉

    1. Après, certains spectateurs et cinéphiles (dont je ne m’exclue pas) ne possèdent pas une culture cinématographique encyclopédique aussi performante que la tienne ou celle de Princecranoir. Certaines références peuvent ainsi nous échapper.

    1. L’ouverture est en effet démente. La musique, la composition du cadre et ce lent mouvement d’appareil, rien que cela, ça me donne envie de remettre le couvert 🙂

  11. Je vois que le film divise beaucoup depuis sa sortie. Tarantino s’en est bien sorti pour ma part. Comme il l’a dit, le western mêle « mythe et histoire », et son travail sur le background et sur ses protagonistes montre un sacré investissement dans son script, ce qui pour moi, légitime presque tous les dialogues à rallonge. J’avoue ne pas avoir boudé mon plaisir devant ce joli petit huit-clos cradingue, que je serais même prêt à revoir si quelqu’un à l’idée de l’adapter sur les planches.

    1. Une adaptation en pièce de théâtre serait en effet intéressante à découvrir. Peut-être Tarantino prendra t-il les rennes de cet hypothétique projet, lui qui semble se considérer de plus en plus comme un homme de lettre.
      Concernant le film à proprement parlé, je fais parti de ceux qui, comme toi, n’ont pas boudé leur plaisir. Il n’empêche, les longueurs présentes lors de la première heure sont, selon moi, loin d’être toutes nécessaires.

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